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Immunité sociale chez l’abeille mellifère

L’invasion de l’agent pathogène dans une colonie est un processus pouvant se décomposer en plusieurs étapes :

- L’agent pathogène doit pénétrer activement ou passivement dans la colonie depuis l’environnement ;

- L’agent pathogène doit s’y établir, contaminer les membres du groupe et se reproduire ;

- L’agent pathogène doit enfin quitter la colonie, horizontalement ou verticalement, de façon à atteindre de nouvelles colonies. Nous allons voir qu’une immunité sociale peut entraver la progression d’un agent infectieux ou parasitaire à chacune de ces étapes.

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Mécanismes visant à réduire l’introduction d’agents pathogènes dans la colonie

L'architecture du nid, presque totalement fermé chez l’abeille mellifère, est un facteur de protection contre la pénétration active de certains parasites  Les colonies d’abeilles mellifères s’établissent à distance du sol, généralement dans un environnement sec et abrité. De plus, certaines abeilles « gardiennes » contrôlent l'entrée du nid vis-à-vis des intrusions étrangères. Généralement, l’entrée d’abeilles provenant de colonies étrangères est repoussée. La détection d’individus n’appartenant pas à la colonie se fait principalement à travers des signaux olfactifs. Dans le cas de tentatives de « pillage », ce refus peut prendre la forme de combats mortels pendant plusieurs jours

Mécanismes visant à réduire la propagation d’agents pathogènes dans la colonie

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a. Réduction de l’infectiosité des agents pathogènes présents dans la colonie  Par des actions chimiques Les abeilles collectent et appliquent des substances antimicrobiennes de l'environnement sur leur matériel de nidification . Par exemple, la propolis est une substance dérivée de résines aux propriétés antimicrobiennes que les abeilles utilisent dans la construction de leurs nids. L'utilisation de la propolis dans la ruche est un élément important de l'immunité sociale des abeilles mellifères. Il a notamment été démontré que les résines de Populus spp. Nord-américaines inhibent la croissance in vitro du pathogène bactérien des abeilles, Paenibacillus larvae, agent de la loque américaine ou Ascosphaera apis, agent de l’ascosphérose . Chez les abeilles, l'efficacité des défenses antimicrobiennes semble augmenter avec le degré de socialité et la taille de la colonie 

Par des actions thermiques

Les abeilles mellifères maintiennent des températures élevées à l'intérieur des ruches pour accélérer le développement du couvain tout en facilitant, dans certains cas, la défense contre les maladies. Les ouvrières participent à des comportements complexes qui limitent à la fois l’ampleur et la fréquence des fluctuations de température . La température optimale pour le développement du couvain d’abeilles est de 32 ° C à 36 ° C, et une exposition prolongée à des températures supérieures ou inférieures peut provoquer des anomalies du développement, des maladies et même la mortalité du couvain. Le refroidissement de la ruche est obtenu par ventilation (mouvement des ailes), associée à l’introduction d’eau provoquant une évaporation, et le réchauffement de la ruche est effectué par contraction des muscles thoraciques.  Un exemple de défense collective active est l’élévation de la température du nid lors d’une infection. ont montré que les abeilles sont capables de générer une « fièvre » en réponse au développement de l’ascosphérose, dont l’agent pathogène Ascosphaera apis présente une sensibilité à la chaleur, Cette réaction survient avant que les larves ne soient tuées, ce qui suggère que les ouvrières détectent l'infection avant que les symptômes ne soient visibles ou que les larves leur communiquent l'infection par l'agent pathogène. Cette réponse est un exemple frappant d'évolution convergente entre les groupes sociaux d’abeilles et d'autres organismes, si bien qu’on qualifie parfois la colonie d’abeilles de « super-organisme ».

Par des actions mécaniques

Au sein du nid, une lutte active collective contre certains parasites est instaurée. Un exemple d’élimination mécanique de l’agent infectieux réside en l’épouillage des abeilles (toilettage). Fries a mis en évidence la capacité des abeilles Apis cerana de faire tomber des varroas phorétiques. Ces dernières présentent une résistance aux varroa supérieure à celle d’Apis mellifera. Par ailleurs, le varroa ne semble pas capable de regagner la colonie sans aide. On peut citer, comme exemple remarquable, la capacité des abeilles du Cap de « s’amasser » autour d’abeilles parasites pénétrant dans leur nid, de façon à les neutraliser . Ces comportements au niveau de la colonie sont analogues à la réponse « d’encapsulation » du système immunitaire physiologique individuel des insectes, ce qui neutralise les micro-parasites entrants. L'hygiène de la ruche est importante chez les abeilles. En effet les colonies possèdent une longue durée de vie, ce qui implique qu’elles pourraient accumuler un grand nombre de parasites au fil du temps.  Un risque considérable de propagation de l’infection se dégage des individus qui sont morts dans la colonie . Comme d’autres insectes sociaux, les abeilles, retirent plus ou moins rapidement les cadavres de leur nid. Cela a pour effet de réduire le réservoir d’agents pathogènes. Il a par exemple été démontré que l’ectoparasite Varroa destructor a une durée moyenne de survie de 71 heures sur les abeilles mortes et de seulement de 21 heures sans substrat .

Optimisation du taux de contact et de la nature des interactions entre les individus

Le taux de contact entre individus au sein d’une colonie est, dans une certaine mesure, limité par compartimentation spatiale et comportementale  Les membres du même âge accomplissent souvent des tâches similaires dans des compartiments particuliers. Comme les interactions se produisent principalement à l'intérieur des compartiments plutôt qu'entre ceux-ci, les agents infectieux ont tendance à rester plus longtemps localisés dans un compartiment donné . Des séparations organisationnelles visent ainsi à prévenir la propagation du parasite depuis le point d’entrée de la ruche fréquenté par les ouvrières butineuses âgées, jusqu’à la partie du nid où se trouvent les jeunes ouvrières infirmières, le couvain et la reine . La reine est spécialement protégée : elle est entourée et soignée de manière intensive par de jeunes ouvrières qui n'ont jamais quitté la protection du nid , sauf lors du cas particulier de l’essaimage. Outre ces mesures prophylactiques, de nombreux exemples d'exclusion sociale sont décrits. Il s’agit d’une réponse active efficace pour limiter les taux de contact entre les individus infectés et non infectées. Il s’agit d’une mesure contre la propagation du parasite, mettant en jeu des ouvrières spécialisées qui expulsent le couvain infecté , mettant un terme à son développement. Lorsque toutes les autres mesures sont inefficaces et qu'une épidémie parasitaire majeure se produit, l’abandon complet de la ruche et la migration vers un nouveau site est décrite chez les abeilles .

Réduction de la sensibilité des individus à l’agent pathogène.

Une faible sensibilité peut empêcher la transmission du parasite malgré le contact avec les individus infectés. Chez l’abeille, une stratégie de défense prophylactique consiste à accroître la diversité génétique au sein des colonies  de plusieurs façons :

- par l’accouplement multiple de la reine, fécondée généralement par dix à vingt mâles . Les ouvrières d'une colonie sont regroupées en fratries (ensemble d'individus étant issus d'un même père). Deux ouvrières de deux fratries différentes sont donc des demisœurs. Le coefficient de parenté global au sein d’une colonie est ainsi estimé à 0.25 + (0.5/n) où n est le nombre de mâles fécondants. Il est donc diminué significativement par le phénomène d’accouplement multiple ;

- par un taux de recombinaison élevé. Des études comparatives sur les taux de recombinaison des insectes sociaux et non sociaux indiquent un taux de recombinaison plus élevé chez les insectes sociaux

ce qui augmente l'hétérogénéité génétique ;

- puis avec la séparation temporelle partielle des différentes lignées paternelles (ou fratries) qui a pour effet de produire au sein de la colonie différentes castes présentant chacune un répertoire immunitaire spécifique. Il convient toutefois de noter que les effets de la diversité génétique ne sont pas toujours aussi simples et qu'une forte hétérogénéité génétique, tout en réduisant les dommages causés par les infections à un seul parasite, peut en même temps accroître la sensibilité de la colonie à une plus grande gamme de parasites.

Mécanismes visant à réduire la transmission verticale des agents pathogènes

Une fois qu'un parasite a proliféré dans une colonie, il peut être transmis à d'autres groupes, qu'il s'agisse de colonies voisines indépendantes ou de colonies filles. La transmission verticale aux colonies filles peut se produire lorsqu’une reine infectée intègre une nouvelle colonie après l’accouplement, ou lorsque qu’une reine et/ou les ouvrières accompagnantes sont contaminées avant de quitter la colonie parentale dans le cadre de l’essaimage. Les mesures pour empêcher la transmission verticale aux colonies filles sont importantes, car la condition physique d’une colonie dépend fortement de la production d’une descendance performante. Plusieurs stratégies pour éviter l'infection des colonies filles peuvent être évoquées. Les stades juvéniles sont élevés dans des cellules de couvain imprégnées de sécrétions antimicrobiennes comme certains peptides. Les larves royales sont quant à elles nourries avec de la gelée royale, aux propriétés antimicrobiennes connues. Dans des cas particuliers, les ouvrières peuvent même cesser de soigner une reine malade 

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